Ta mère sur les planches
Par Sylvie, mercredi 29 novembre 2006 à 19:48 :: Culture :: #7 :: rss
C'était le 8 avril 2005. La trouille a commencé dans l'après-midi...
Impossible de me concentrer sur la télé, un magazine ni de répéter mes quatre scènes tranquillement en m'amusant comme je l'avais fait la veille, l'après-midi d'avant la Générale, qui ne m'avait causé aucune trouille mais une envie de m'amuser.
Comme avait dit Daniel, notre prof-metteur en scène, avant de nous lâcher sur scène : "Amusez-vous". Ca collait pile poil avec mon état d'esprit. Il avait dit aussi : "Transformez cette tension en énergie pour le spectacle". Il aurait dû redire ces deux formules magiques ce deuxième soir. Elles m'ont bien manqué.
A 18h, j'étais prête, ma grande valise d'accessoires bouclée, la valise que j'avais traînée à chaque répétition, celle que Noël utilisait, enfant, quand il partait en colo. J'aime bien cette vieille valise qui a vécu. Elle a une personnalité et elle fait bien "théâtre". Elle joue son rôle à elle quoi !
Tout à coup, il me fallait quelque chose d'apaisant : je pense à une photo de Nathan. Vite Nathan.net et les photos de Pâques et de Cabourg. J'opte pour la mer, le ciel bleu et mes petits-fils et fils.
J'arrive la 1ère à la salle (18h15 pour 18h30). On n'a pas mis de paravent pour isoler le hall et créer des coulisses ! François, notre accessoiriste réalisateur-monteur-démonteur de décor et acteur, me dit qu'il n'y a plus de paravents. Ils sont déjà tous utilisés. Daniel prof-metteur en scène m'avait dit la veille que je pourrais laisser ma valise dans ce hall isolé par le paravent. Tant piche !
Le "Che" de tant piche, c'est à cause de Mme Martinèche, la femme de ménache portuguaiche. C'est mon rôle, c'est moi Mme Martinèche. C'est moi qui l'ai créée, comme ça, pour rire, un soir pendant le cours lors d'une improvisation. Je suis entrée dans la scène en poussant mon balai-brosse comme un aspirateur et tirant la poubelle de la salle des fêtes, un torchon qui traînait noué sur la tête.
Et voilà, Mme Martinèche était née et une histoire abracadabrante allait prendre vie au cours des dernières semaines de cours, avec les autres élèves et notre prof-metteur en scène.
Au début, j'étais allée à ce cours en me faisant bien préciser qu'on n'était pas obligé de jouer sur scène, qu'on pouvait juste y participer pour le côté jeu et développement de soi, rencontre avec les autres, divertissement mais surtout pas jouer un rôle. On m'avait dit "pas de problème". On m'avait trompée.
Je me suis trouvée embarquée dans cette histoire loufoque sans me douter qu'on la jouerait devant du public. Et quand j'ai réalisé, je m'amusais trop pour laisser tomber. Allons-y, on verra bien ! Et on y était, je voyais…
Je fais part de ma trouille à tous ceux qui arrivent les uns après les autres en leur demandant s'ils ne l'ont pas. Certains oui, d'autres un peu, d'autres par moment, une pas du tout. Mais je crois que je suis la plus atteinte. Ca allait si bien la veille !
Daniel ferme la porte de la salle me séparant de ma valise. Comme il n'y a pas de paravent, je ne pourrai plus retourner à ma valise car elle est dans le couloir qui donne sur le hall et les spectateurs ne doivent pas voir l'accoutrement de Mme Martinèche. Cela diminuerait l'effet de surprise.
Il me faut mon maquillage, mon plan de scène, ma bouteille d'eau, la photo de mon petit fils, mon gilet etc. Tout ça est dans ma valise et je ne peux plus aller à ma valise ! Daniel prof metteur-en scène va patiemment me chercher tout ce bric à brac un par un en suivant mes désirs et sans broncher. Je suis stupéfaite de sa patience. Je dois être à tuer.
Christian, mon partenaire docteur Folingue, dessine mes moustaches et poils aux jambes. Super sexy Mme Martinèche ! On me prête un crayon pour cela car le mien est resté dans la valise. Le rouge à lèvres aussi. Tant piche. Je n'en remettrai pas.
Christian veut aussi me faire des dents qui manquent. Ah non ! Faut pas exagérer non plus ! Impossible de nouer mon foulard sur ma tête. Je l'ai fait tant de fois du premier coup, naturellement, sans miroir, mais là rien ne va. Je recommence et recommence encore.
Puis il faut partir en coulisses. Les spectateurs qui attendent déjà nombreux dans le hall vont entrer dans la salle. J'attrape au vol ma bouteille d'eau, ma photo de Nathan, mon gilet, mon plan de scène.
Christian s'inquiète de mon état : "Va-t-elle tenir le coup ?". Moi, je sais que oui. Mais je ne sais pas comment.
En coulisses, Annie me décharge de mon bric à brac et m'indique le miroir au 1er étage pour attacher mon foulard. J'y vais.
Il y a Christine, Véronique, Marcelle et je ne sais qui et un miroir. Impossible de nouer ce foulard. On me dit que ça va. Mais non ça ne va pas. On veut m'aider. Non, ils n'ont pas l'habitude. Ils ne serreront pas assez, ou trop ou je ne sais quoi. C'est fait. C'est pas comme d'habitude mais tant piche ! Je n'arriverai pas à faire mieux ce soir.
Je redescends. Annie me rassure de son expérience, elle c'est sa deuxième fois : "C'est normal la 1ère fois" et "Tous les grands artistes ont le trac". C'est très gentil mais je n'appelle pas ça trac mais trouille et je ne suis pas une grande artiste.
Quelqu'un dit de se tenir tous la main comme la veille pour se relaxer. Je suis entre je ne sais pas qui et je ne sais pas qui. Je ferme les yeux. J'ai la trouille mais les autres sont là, bienveillants. Christian me masse les épaules. Ca ne me fait rien mais il pense que si et ça lui permet de moins s'inquiéter d'une éventuelle défaillance de ma part.
Je me rapproche d'Angélique, seule et concentrée, son trac à elle. Je répète doucement : "Tache qui sh'effache Ménache efficache" en marchant. On l'a mis au point toutes les deux avec Angélique. Elle a fait la chorégraphie.
Oui, on défile en scandant ce slogan et maniant les balais en rythme. Non non, le ridicule ne tue pas. Répéter cette phrase débile me distrait. J'ai faim. Avec tout ça, mon casse-croûte est resté dans la valise.
Daniel revient chercher des chaises et revient chercher des chaises et revient chercher des chaises et revient… Elles sont rangées en coulisses, avec nous. Il y a beaucoup de spectateurs. Beaucoup plus que prévu.
Ca ne m'inquiète pas plus. Le nombre n'a rien à voir avec ma trouille. Christian croit que si. On me dit merde. Je réponds "merci. Non, pas merci". Je dis merde.
On part vers le départ. En fait, on ne joue pas que sur scène mais surtout dans la salle, chacun à un endroit différent. Daniel prof-metteur en scène passe nous dire merde lui aussi. Je ne dis pas merci.
Je n'entre pas en scène tout de suite. IL y a deux scènes avant mon entrée. Je respire profondément, lentement. Je demande discrètement aux autres qui attendent si ça va. On me demande discrètement si ça va. Il ne faut pas faire de bruit. Les spectateurs nombreux nous entendraient.
La nuit tombe. On ne voit plus rien. Il me faut quelque chose dans ma valise. Ma lampe électrique disposée à portée de main par mes soins méticuleux n'est pas à sa place. Daniel a tout retourné dans ma valise en satisfaisant mes caprices de star.
Christiane stressée aussi mais discrète, elle, me demande ce que je cherche. Je ne sais même pas moi-même. Je cherche, histoire de passer le temps et transmettre ma trouille à tout le monde…
J'entends Monique dire "ma grande". Je ne sais pas si c'est le premier ou le deuxième. Je dois entrer en scène au deuxième "ma grande" de Monique. On n'entend rien et on ne voit rien dans la salle dans le noir et les têtes des spectateurs cachent la scène en cours.
Tant piche ! Faut y aller ! Je fonce, balai en avant sous le bras et tirant ma poubelle comme je l'ai fait maintes fois pendant les répétitions et aussi pour le plaisir de faire rire les autres.
Le rayon de lumière qui m'accueille me révèle Noël riant à mon entrée. Les larmes me montent aux yeux. J'entends un bourdonnement de rires qui ne me surprend pas et qui se propage dans la salle comme une onde. L'émotion est intense mais elle triple quand, après le virage, je vois Joëlle sur l'estrade me photographiant comme une célébrité. Pour l'Eclaireur, d'accord, mais bon.
L'envie de pleurer me submerge. Je ne bouge pas un cil. Je choisis de faire une Mme Martinèche triste piquant du nez ce jour-là. C'est le seul moyen de ne pas voir ce qui se passe autour.
Je vais me noyer. Au secours. Passez-moi un parachute. Je parviens à l'emplacement de ma scène après avoir garé ma poubelle comme prévu et ensuite... arrive le plaisir de parler fort dans une salle remplie de spectateurs tous acquis !
A cet instant précis, oublié les heures de trouille. Mais alors complètement oublié. J'ai transformé la tension en énergie pour le spectacle et je réalise ce dont j'ai toujours rêvé : être la rigolote de service qui fait rire tout le monde.
Ma chaise n'est pas à la bonne place mais qu'à cela ne tienne, je la rapproche naturellement avant de m'asseoir.
Méticuleusement, j'ai posé ma poubelle dans ses marques… à l'envers. Pas de problème, je la retourne tranquillement en allant poser mes gants dessus.
Le légo qui devait tomber au pied de la table tant de fois réussi par Christian tombe.. sur la chaise. Jeu d'enfant. Je le prends et fais semblant de le ramasser par terre.
Je saute une phrase dans mon monologue. T'inquiète. Je monte le ton pour donner plus de corps à la suivante et contrecarrer la panique.
Je n'ai pas bafouillé, pas eu de trous de mémoire, les objets m'ont obéi au doigt et à l'œil, j'ai parlé fort et distinctement et j'ai aimé ça. Le Titanic n'a pas coulé.
La récompense, c'est quand notre metteur en scène est venu nous rejoindre en coulisses après les deux saluts et nous communiquer sa satisfaction avant de retourner vivement vers son public.
Les jours suivants, en réfléchissant à cette trouille monstrueuse et inattendue, il m'a semblé qu'elle avait été le propulseur sans lequel je ne serais jamais entré en scène, comme les gaz qui permettent à une fusée de décoller.
Et aussi, que ce que je craignais le plus pendant cette trouille, c'était de ne pas mériter les applaudissements du public au moment du salut final et de voler à d'autres une gratification que je n'aurais pas méritée. Hou la la ! Faut arrêter de réfléchir !
En tous cas, je me suis dit qu'il fallait que je fasse quelque chose pour ne pas revivre cette trouille gigantesque ou mieux la gérer et c'est comme ça que j'ai été attirée par un article dans le Ferrièrois : le qi-gong vous apprend à gérer votre stress etc.
Et voilà, depuis, je fais du qi-gong...
Commentaires
1. Le jeudi 30 novembre 2006 à 01:27, par Tonmari
2. Le jeudi 30 novembre 2006 à 17:52, par TonGranFiss
3. Le lundi 4 décembre 2006 à 13:42, par TonAutreFiss
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