Chronique d'une mort annoncée
Par Sylvie, samedi 30 juin 2007 à 07:22 :: Général :: #11 :: rss
La fin d'un bureau de poste
Pourquoi faire le ménage aujourd'hui ?
Le bureau n'ouvrira pas demain, ni après-demain, ni la semaine prochaine, ni le mois prochain.
Il n'ouvrira plus jamais.
C'est le dernier jour d'ouverture au public : 2h30 tous les 2 jours depuis 10 mois.
C'était peu mais les habitués s'étaient organisés, donnant des procurations pour retirer leurs objets en instance ou quittant un peu plus tôt leur travail pour arriver avant la fermeture.
Quand ils téléphonaient pour expliquer leurs difficultés à venir au bureau avec des heures si réduites, on trouvait toujours une solution :
"Frappez après la fermeture, je vous ouvrirai"
"Donnez procuration à votre voisin au dos de l'avis"
"Je fais suivre à votre travail"
"Je vous appelle dès que j'ai votre objet pour vous éviter de venir pour rien"
De nombreux usagers fréquentaient ce bureau depuis son ouverture, il y a plus de 30 ans.
Moi je le fréquentais, côté guichetière, depuis 25 ans, excepté ces dix dernières années, avant que le rouleau-compresseur Terrain m'y renvoie de force.
J'ai eu, heureusement, la joie d'y retrouver des clients que je n'avais pas oubliés et qui, si eux m'avaient oubliée, m'ont adoptée comme s'ils me connaissaient depuis toujours. Idem pour les plus jeunes que j'avais pu voir naître ou qui s'étaient installés récemment dans le village.
Je savais dès le début que je deviendrais très rapidement le fossoyeur de ce bureau en sursis, que je n'y finirais pas ma carrière comme je l'avais projeté quelques années auparavant en voyant d'autres collègues terminer leur vie professionnelle dans cet endroit tranquille et chaleureux.
Motus et bouche cousue. Interdit de dévoiler le terrible secret aux habitants du village. Je ne risquais pas. Colporter les mauvaises nouvelles, très peu pour moi.
Bien sûr, il faut regarder l'avenir au lieu de s'apitoyer sur le passé. Les choses doivent bouger sinon elles meurent.
Sauf que dans le cas présent, bouger, c'est mourir.
Mourir pour quoi ?
Pour économiser des fonctionnaires fainéants et trop payés, dixit les politiques des hautes sphères largement relayés par les médias.
Mais qui a pensé à :
- Madame A., qui, toute proche voisine, venait à la poste avec son déambulateur,
- Madame B. qui perd un peu la tête et qui trouvait toujours une personne dans la file d'attente pour l'aider à ne pas oublier quelque chose sur le guichet
- Monsieur C. qui vient deux fois par mois toucher sa pension en vélo
- Madame D. qui sort de l'hôpital après un long séjour et retrouve ses habitudes peu à peu
Et à tous les parents qui passaient à 4 heures et demie avec leurs bambins sortis de l'école juste en face, bureau de poste et école faisant parking commun, affranchir une lettre, envoyer un colis ou interroger leur compte.
Bien sûr, un relais poste a pris le relais, comme son nom l'indique, mais comme son nom ne l'indique pas, malgré tout le dévouement et le sérieux qu'y mettront les nouveaux maîtres de poste, ce n'est pas La Poste Service Public, mais un commerçant privé.
Bonne chance à lui, installé à la hâte et sans formation solide pour répondre à une urgence créée de toute pièce par les organisateurs du génocide des petits bureaux.
Mais de quoi se plaint-on ? Si les habitants voulaient garder leur bureau, ils n'avaient qu'à y venir !
Ils y venaient, j'en atteste, surtout avec une si faible amplitude d'ouverture. Ils y faisaient même la queue le plus souvent.
Mais les statistiques n'ont jamais vu une file d'attente, ni un usager, ni un guichetier. Et ne rendent leur verdict qu'à retardement, quand la situation a déjà évolué.
Tant pis. Les chiffres ont parlé et en 2007, ce sont les chiffres qui gouvernent, pas les êtres humains.
Quelqu'un pourrait expliquer à la vieille postière que je suis pourquoi les décideurs ne voient que par les chiffres. Sont-ils eux-mêmes de simples numéros, des outils de performance, des calculateurs permanents ?
Peut-être. Et peut-être n'auront-ils jamais la joie d'apprécier une atmosphère sympathique, un lieu qui raconte des histoires, des murs qui parlent et qui vibrent de tous les secrets entendus par les deux anciennes cabines téléphoniques aux portes en bois vitrées, débranchées depuis longtemps mais jamais démontées, quelle chance !
Des survivantes du passé : plus pour longtemps.
Ce soir, en partant, pas la peine d'emporter les clés pour ouvrir la prochaine fois, on n'ouvrira plus.
Autant les jeter à la poubelle, avec le bureau de poste, les usagers, les postiers et tous leurs souvenirs.
Commentaires
1. Le samedi 28 juillet 2012 à 07:45, par Sylvie
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